mardi 6 avril 2021

BIK, LA BRIQUE D’AZBROUK / TOME II

 

BIK, LA BRIQUE D’AZBROUK

TOME II

 

[ EXTRAITS ]

 


 

Depuis que Bik, qui fut d’abord un colosse d’argile, kidnappé par les horribles frères Van Meulebeke et réduit en brique, était rentré chez Snouk, il avait fallu réaliser quelques aménagements dans la maison du briqueteux : on inséra un petit plateau entre deux rangées de briques du salon pour y poser les petits plats et les boissons de Bik ; on fabriqua une toute petite béquille pour soutenir sa pipe à tabac et un présentoir à livre dont il pouvait aisément tourner les pages grâce à un astucieux système de cure-dent et de chewing-gum. 

Le pouvoir magique qui permettait à Bik de se déplacer de brique en brique avait également modifié ses tâches au quotidien : en plus de surveiller la cuisson des repas, d'alerter sur la baisse du tas de pommes de terre conservées à la cave - chez Snouk, la friteuse ne connaissait pas de répit ! -, la Brique s’était également vue attribuer le bulletin météo plusieurs fois par jour. Pour ce faire, elle se hissait au sommet de la cheminée. Elle avait d'ailleurs parfaitement intégré toutes les expressions du cru pour décrire l'état du ciel :

Quand le soleil brillait : « Ça darde ! »

Quand le temps se gâtait : « Ça se marmousse ! »

Quand le vent se levait : « Ça souffèle ! » 

Quand il pleuviotait : « Ça tombe 3 gouttes dans 4 assiettes »

Quand, au contraire, il tombait des hallebardes : « Ça drache à dic et dac ! » 

Quand la brume montait des champs : « Ça brouillasse ! »

Quand la nuit allait tomber : « Ça rabrunit ! »

L'histoire de Bik avait fait le tour d’Azbrouk et lui avait ouvert les portes de nombreux commerces, qu'il pouvait visiter en un claquement de doigts grâce à son pouvoir. Bik aimait particulièrement tailler la bavette avec Hyacinthe, le boucher de la rue du lièvre ; ou conseiller Corneille, le boulanger, pendant les parties de belote animées au Lion d'or, l'estaminet de l'allée du houblon ; ou encore parler thème astral avec Lucette, la coiffeuse de la rue de la lune. La Brique ne s’ennuyait pas de la journée jusqu’au retour de Snouk le soir venu. Son jour préféré était le dimanche, placé sous le signe de la détente : au coin du feu, on mangeait des gaufres maison à la bière, on lisait un épais roman au son d’un vieux disque de rock'n'roll.

Ce dimanche-là, paisible et ensoleillé, les murs de la maison de Snouk se mirent à trembler, projetant bibelots et vaisselle au sol. Ce dernier bondit sur le pas de sa porte et comprit qu'il ne s’agissait pas d’un tremblement de terre : quelque chose se passait dans la maison voisine qui était jusque-là inhabitée. Remonté comme un coucou, Snouk frappa sèchement à la porte et prévoyait d'envoyer une belle soufflante au perturbateur du jour sacré. « Des travaux ! Un dimanche ! C'est un scandale ! », se préparait-il à lancer.

Mais c'est une charmante femme qui ouvrit bientôt la porte, le visage recouvert de poussière grise et vêtue d'une salopette bleue. Snouk fut si surpris qu'il en perdit ses moyens :

-       « Bonjour, c'est pour vous dire que… enfin… C’est Midanche, vous voyez... euh, dimanche... Et les murs de ma maison... bah, ils tremblent… C’est quand même emtêbant, euh, embêtant je veux dire... », bégaya-t-il.

-       « Oh zut, je suis désolée ! Je viens d'acheter cette maison que je retape moi-même le weekend », expliqua cette nouvelle voisine, une truelle à la main. « Je suis maçonne et venais de lancer la bétonneuse pour faire du mortier. Mais je vais l’arrêter de suite. Mille excuses, le dimanche, vous avez raison, c'est sacré ! Je reprendrai les travaux demain », rassura-t-elle.

-       « Merci de votre compréhension, madame », dit le briqueteux, dont les joues avaient quelque peu rougi.

-       « Appelez-moi Rita. Enchantée, cher voisin », dit la maçonne, en avançant sa main poussiéreuse.

-       « Moi, c'est Snouk, au plaisir d’avoir également fait votre connaissance, chère voisine », lui répondit le briqueteux.

Ils se serrèrent poliment la main et échangèrent tous deux un large sourire. Le dimanche sacré reprit alors calmement son cours. 

Les jours passèrent et la maison toute en briques de la voisine, identique à celle de Snouk et à toutes celles de l'allée du pigeon voyageur, prenait de plus en plus forme avec ses beaux joints tout neufs. Une fois les travaux enfin achevés, Rita invita Snouk à fêter l'événement autour d'une petite mousse. Bik fut alors présenté à la voisine, incrédule d'abord puis attendrie par cette fantastique histoire. Pour se rendre chez Rita, rien de plus simple : la brique n'avait qu'à traverser le mur qui séparait les deux maisons pour les rejoindre directement dans le salon voisin.

Rita était une hôte délicieuse. Elle était intarissable sur les motifs en briques : en assise, en boutisse, en épi, en arrêtes de poisson... Le briqueteux en restait baba et ne mit guère longtemps à en tomber amoureux. La chose étant réciproque, la voisine et lui passèrent de plus en plus de temps ensemble.

Bik, de son côté, restait de plus en plus souvent seul à la maison le soir, car il n'était pas toujours convié à leur tête-à-tête. Discrètement, il lui arrivait de traverser le mur mitoyen pour observer secrètement Rita et Snouk. Un soir, la Brique surprit une conversation qui la concernait :

-       « Oh ! Ne t'en fais pas ! Quand on ira à Palo-les-bains la semaine prochaine, Bik ira chez quelqu'un d'autre… Il a plein d'autres amis que moi maintenant. Et puis, ça ne me ferait pas de mal de respirer un peu… », confia Snouk, qui semblait se plaindre de la charge que représentait Bik.

La Brique fut triste d'apprendre leur projet à la mer sans elle. Et de le découvrir de cette manière : elle ne jouerait plus jamais les espions, ça fait trop mal au cœur.

Ce vendredi, Snouk préparait chez lui un dîner aux chandelles pour Rita. Dîner pendant lequel il comptait bien déclarer sa flamme. Une fois le dessert avalé et un long échange de regards silencieux, leurs lèvres furent irrésistiblement attirées l'une par l'autre. Au moment d'échanger leur premier baiser, la Brique, qui avait besoin qu'on recharge sa pipe en tabac frais, apparut tout à coup sur le mur de la cheminée et interrompit l’élan amoureux. 

-       « Snouk, pourrais-tu... », eut-elle à peine le temps de prononcer.

-       « La Brique, qu'est-ce que tu fiches ici ? Tu ne vois pas que tu nous déranges là ! Tu aurais pu frapper avant, bon sang ! », cria Snouk.

C'était la première fois qu'il haussait le ton contre son meilleur ami.

-       « Mais... Mais... tu sais bien que je ne peux pas frapper... », répondit Bik, tout penaud.

-       « Eh bien, il va falloir trouver un moyen désormais ! », poursuivit Snouk, énervé, qui s'exprimait par grands gestes. « Allez, ouste ! Du balai ! Va dans ta chambre, nom d'une pipe ! », continua à crier le briqueteux.

-       « Justement ! C'est parce que je voulais que tu rempotes ma pipe que... », tenta-t-elle d’expliquer. 

-       « Débrouille-toi tout seul ! Du vent, j’ai dit ! », lança sèchement Snouk. 

La brique s'évapora aussitôt dans le mur. 

Rita qui assista à la scène lança un regard furieux à Snouk :

-       « Tu as été dur avec elle. Elle ne pouvait pas savoir », le sermonna-t-elle.

-       « Mmm… Oui, c’est vrai, tu as raison, je me suis emporté, je n’aurais pas dû… Je m'excuserai demain. Alors, alors... Où en étions-nous ? Ah oui ! », reprit le briqueteux, qui s'avança vers Rita et tous deux échangèrent enfin leur premier baiser – Smick.

La Brique s’endormit la gorge serrée. Elle se sentait désormais de trop. Le lendemain matin, elle entendit Snouk l'appeler pour le petit-déjeuner. Mais elle ne répondit pas, un poids sur le cœur l'en empêchait.

-       « La Brique, tu es réveillée ? Descends, je t'ai préparé des crêpes à la vergeoise et une tasse de café », lança Snouk depuis la cuisine.

Elle se hissa au sommet de la cheminée. 

-       « Allez, viens ! Je suis désolé pour hier, je ne voulais pas te blesser, la Brique... », poursuivit-il.

Mais il était vraiment hors de question de redescendre. Bik contemplait le lever du soleil en se demandant bien où il pourrait aller maintenant qu’il était devenu indésirable. La flèche de l’église d’Azbrouk se détachait des toits couleur rouille et brillait au loin.

-       « Le sommet de l’église fera un parfait refuge. Pourvu que je sois le plus loin possible de celui qui se disait mon meilleur ami », se dit amèrement Bik. Il amorça la descente et voyagea de brique en brique jusqu’au centre-ville. Puis il glissa le long de la façade de l'église, visant la voûte la plus haute de l'édifice pour s'y abriter. Mais au moment d'atteindre son objectif, Bik buta sur la dernière brique. 

Chtonk !

-       « Bah ça alors ! Pourquoi ça résiste ! C'est bien la première fois ! Réessayons ! », dit la Brique, en reprenant son élan.  

Chtonk !

-       « Aïe ! Ça va pas, non ? Vous voyez bien qu'il y a déjà quelqu'un ! Allez trouver une autre brique à squatter, la place est déjà prise ! Non, mais l'autre ! », dit une voix rauque.

-       « Hein ? Quoi ? Comment ça quelqu'un ? Quelqu'un comme moi ??? Vous êtes une brique aussi ????! »

 

...

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